Des illustrations pour Harper's Bazar

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Par Paule de Gironde

Bernard Boutet de Monvel Maître de l'illustration Art Déco

 

 Bernard Boutet de Monvel - Pyjamas d’intérieur par Molyneux - Harper’s Bazar Juin 1926 Bernard Boutet de Monvel - Etude pour Pyjamas d’intérieur 1926 Bernard Boutet de Monvel - Etude pour Pyjamas d’intérieur 1926


Un coup d'oeil derrière nous

 

Nos aïeux (Dieu ait quand même leur âme ! ) étaient pétris de préjugés. Et de celui-ci, pour commencer, qui fut si long à déraciner dans notre vieille France routinière : l'Art, pour rester digne de ce nom, pour rester l'Art avec un grand A, doit se bien garder d'être utilitaire. Il y a des matières riches et des matières viles, des sujets nobles et des sujets pauvres. L'Art doit se consacrer aux uns et mépriser les autres.
Or, parmi ces « autres » se trouvait, évidemment, l'illustration de mode. Et cela nous valut, des lustres durant, de ne voir la mode que sous deux aspects : les croquis de mode pris aux courses, au Bois, aux réunions mondaines, qui n'étaient que l'indication sommaire de visions d'élégance, et les illustrations de mode proprement dites, qui étaient faites par des dessinateurs de dixième ordre, par de simples "ouvriers" en dessin.


Ce temps est heureusement bien révolu. Entre l'art pur et l'art utilitaire, il n'y a plus de barrière. Et il y a de nos jours en France une véritable pléiade de jeunes artistes : Benito, Benigni, Henri Mercier, et d'autres, spécialisés dans l'illustration de mode, et qui ont donné à cet art, jadis mineur, un merveilleux essor.

Aux Champs-Elysées, tailleurs cape de Bernard et Cie et tailleurs manteau de Beer - Harper’s Bazar Avril 1926 Bernard Boutet de Monvel - Trois robes cubistes de Madeleine Vionnet - Harper's Bazar Septembre 1925


A ceux-là, je consacrerai quelques prochaines études, me réservant ici de parler d'un artiste qui leur a ouvert la voie à tous, en ne dédaignant pas, à l'occasion, d'animer de son grand talent de simples figurines de mode.

 

Bernard Boutet de Monvel

 

Il m'a accueillie au seuil de sa porte avec un bon sourire, la main tendue, les yeux très clairs sous des cheveux qui s'argentent. Et dans l'atelier aux larges baies lumineuses, je me suis sentie tout de suite « à l'aise » devant tant de simple cordialité.
A l'aise, et très embarrassée en même temps, car Bernard Boutet de Monvel qui est, comme tous les vrais artistes, un modeste, répugne à parler de lui. "De l'illustration de mode ? Mais j'en fais en dilettante ! Et j'en fais si peu ! " m'a-t-il dit tout d'abord.
Et si je n'avais su, moi, pertinemment, qu'il eût suffi de ses seuls dessins de mode pour faire en France et hors de France sa renommée, et si, sûre de mon fait, je n'avais insisté un peu, qui sait si Bernard Boutet de Monvel se fût décidé à sortir de ses cartons les très beaux dessins qui illustrent ces pages ?

 

 

 

Dessins décoratifs - Dessins modernes - Dessins "racés"
 

Le premier souci artistique de Bernard Boutet de Monvel est de faire oeuvre décorative. Ne l'affirmerait-il pas lui même que c'est visible dans tout ce qu'il crée - visible à en crever les yeux - qu'il s'agisse d'une femme, d'un animal ou d'une maison, Bernard Boutet de Monvel s'efforce avant tout de rechercher, parmi toutes les lignes enchevêtrées qui brouillent la vision du commun des mortels, quelques lignes seulement, quelques lignes essentielles : celles qui donnent à la femme, à l'animal ou à la maison, à la fois sa personnalité saillante et sa beauté sculpturale. Bref, plus encore qu'un peintre amoureux des couleurs et des oppositions de teintes, Bernard Boutet de Monvel est, en face de ses dessins, un architecte et un sculpteur, amoureux des lignes, des masses et de leur harmonieux équilibre.


 Bernard Boutet de Monvel - Pour la chasse, Ensemble de Beer et tailleur de Chantal - Harper's Bazar DĂ©cembre 1928Très décoratifs, donc, les dessins de mode de Bernard Boutet de Monvel sont en outre modernes. Modernes d'abord parce qu'on y retrouve les silhouettes auxquelles la mode nous a habitués : silhouettes très longues, très souples, très fines, surmontées d'une toute petite tête fière, silhouettes de femmes élégantes et sportives à la fois, un peu "garçons" et très "femmes" cependant.


Modernes aussi ces dessins parce qu'ils témoignent presque tous d'un effort de simplification. Témoin cette joueuse de golf simplement traitée en quelques lignes simples qui ont cette caractéristique moderne aussi, de dépasser leur point d'arrivée normal. Témoin surtout ces deux esquisses préliminaires donnant une idée de la méthode de travail de Bernard Boutet de Monvel, qui reporte ses esquisses sur cinq, six, sept calques successifs, autant de fois qu'il le juge bon pour les dépouiller de tous les détails superflus, de tous les trais inutiles.


Enfin, décoratifs et modernes, les dessins de Bernard Boutet de Monvel sont tous "racés". Lorsque, d'aventure, il s'astreint à faire une illustration de mode, il ne peut abdiquer l'homme du monde qu'il est, et tout ce qu'il touche, tout ce qui vit sous son crayon ou sous sa plume : hommes, femmes, chevaux, lévriers, automobiles, tout est aristocratique. Ces dessins, comme tous ceux que signe cet artiste, sont aristocratiques sans exagération, sans excentricité, sans ce snobisme qui n'est qu'une contrefaçon de l'aristocratie. Ils le sont, comme Bernard Boutet de Monvel l'est lui-même, avec infiniment de mesure, de simplicité et de bonne grâce - naturellement.

 

 

Une oeuvre qui n'est pas toute son oeuvre

 

Ce serait rétrécir singulièrement le talent de Bernard Boutet de Monvel que de croire son oeuvre restreinte à l'illustration de mode. Cette oeuvre, très large, est aussi très variée. Elle comprend de nombreux portraits, de nombreux paysages aux tonalités très douces, très pastellisées. En outre, de son dernier voyage au Maroc, Bernard Boutet de Monvel a rapporté, un nombre d'études, très remarquables par la valeur architecturale des lignes. Enfin, plus récemment encore, il a composé une série de fresques destinées aux panneaux octogonaux d'une vaste salle (1). Celle reproduite ici ne peut donner qu'une très pauvre idée de la puissance décorative de cactus verts sur fonds gris, sur lesquels se détachent, en silhouettes très pures, des formes blanches.

 

 Bernard Boutet de Monvel - La robe d'hôtesse, robe de Paul Poiret dans un intérieur de Martine - Harper's Bazar Juin 1926 Bernard Boutet de Monvel - Etude pour La robe d’hôtesse de Paul Poiret 1926
 

Et maintenant, que Bernard Boutet de Monvel m'excuse d'avoir dit en si peu de mots ce qui mériterait tant de pages. Qu'il m'excuse comme il m'a accueillie, avec la main tendue, les yeux très clairs sous ses cheveux qui s'argentent, et son bon sourire.

 

Article paru dans Gebrauchsgraphik IVe année Nr 8.

 

 

(1) Le lecteur voudra bien se reporter à l'article «Bernard Boutet de Monvel décorateur» figurant sur ce site, et plus particulièrement au passage concernant la salle à manger biarrote de Mme Jacques Edeline.