Une voiture par Hupmobile

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Par Stéphane-Jacques Addade

 

 Bernard Boutet de Monvel - Projet d’Hupmobile New Century Eight - 1928

 

Mardi 13 novembre 1928.


Après avoir essuyé une effroyable tempête, Bernard Boutet de Monvel, qui traversait l'Atlantique à bord du s.s. Ile-de-France, débarque pour la troisième fois à New-York.
Quelques mois auparavant, Hugh Mitchell, directeur de la Hupmobile and Mitchell Body Corporation, avait demandé au peintre - dans un but publicitaire - de dessiner spécialement une automobile dont le châssis serait réalisé par sa firme. Cette voiture au moteur 8 cylindres et au châssis de 3,348 mètres d'empattement (1) , que Bernard Boutet de Monvel fit carrosser en France par Kellner, et qui, au terme de son accord avec Hugh Mitchell devait lui être offerte, était alors sur le point d'être achevée.
Hupmobile Motor Car, la firme de Détroit (Michigan) qui avait été créée en 1909 par Robert Craig Hupp (1877-1931), et qui avait fusionné avec la Mitchell Motor Car Compagny de racine (Wisconsin), pour créer la Hupmobile and Mitchell Body Corporation était, cette année-là, à l'apogée de son essor avec plus de 65.000 voitures vendues.


Bernard Boutet de Monvel arrive à son hôtel, The Wyndham, 42 west 58th street, pour apprendre que les responsables de la firme Cadillac, qui appartient à General Motors, souhaite lui commander un nombre illimité de dessins publicitaires à 2.000 $ pièce (2) , une somme astronomique pour l'époque (3) . Alfred P. Sloan (1875 - 1966), l'entreprenant directeur de General Motors, vient en effet d'engager un jeune dessinateur californien, Harley J. Earl (1893 - 1966) et de lui confier la création du premier studio de design automobile, la « Art and Colour Section ». La nouvelle La Salle (une sous-marque de Cadillac) et la nouvelle Cadillac, qui s'en inspire fortement sont immédiatement des succès. Il ne manque donc plus à Alfred P. Sloan que le génie de Bernard Boutet de Monvel - l'artiste adulé de New-York - pour créer, à n'importe quel prix, les dessins publicitaires de ses nouvelles créations. Il n'hésite donc pas à lui envoyer des émissaires, et à Paris et à New-York, pour le lui faire savoir...


Bernard Boutet de Monvel, qui s'ouvre immédiatement à Hugh Mitchell de la proposition que lui fait son concurrent, reçoit une heure plus tard la visite de son associé qui lui commande, sur le champ, douze dessins publicitaires pour la somme de 24.000 $, soit au prix unitaire fixé par Cadillac.

 

 Bernard Boutet de Monvel - Publicité pour Hupmobile - janvier 1929Bernard Boutet de Monvel - Publicité pour Hupmobile - février 1929
 

Très vite Bernard Boutet de Monvel se met au travail, et se fait présenter l'ensemble des modèles de la gamme New Century Six et la New Century Eight d'Hupmobile (Roadster, Sedan, Coupe, Victoria...), une nouvelle gamme désormais conçue tout autant pour Lui que pour Elle. Aussi, la firme automobile se fait-elle créatrice de mode, au même titre que les couturiers en vogue : « manteau du soir par Molyneux », « ensemble de sport par Régny », « ensemble du soir par Jenny », « tailleur d'après midi par Prémet », «costume de plage par Lenief», « robe par Worth »... et toujours une « automobile par Hupmobile » !

 

 Bernard Boutet de Monvel - Publicité pour Hupmobile 1929Néanmoins Bernard Boutet de Monvel - faut-il l'avouer - se soucie davantage de sa propre voiture, dont Hugh Mitchell est tellement enthousiaste qu'il propose au peintre de la lui racheter (4) ! et dont l'arrivée est annoncée pour décembre : « mon petit Noël » (5) s'amuse ce dernier.


Mais le 22 décembre, catastrophe ! La voiture, arrivée depuis plusieurs jours, est toujours bloquée en douane. Les clefs de la malle arrière ayant été égarées, les douaniers américains, en ces temps de prohibition, refusent de laisser partir l'Hupmobile, sans avoir pu vérifier qu'elle ne contient pas d'alcool ! Les clefs sont finalement retrouvées et le 27 décembre, Bernard Boutet de Monvel peut écrire à sa femme :
 

 Anonyme - L’Hupmobile de Bernard Boutet de Monvel - 1928 Anonyme - L’Hupmobile de Bernard Boutet de Monvel - 1928
 

« La voiture est vraiment ravissante : comment diable n'as-tu pas eu la curiosité d'aller chez Kellner avant son départ, je n'en puis revenir. Elle est infiniment plus réussie que je n'osais l'espérer. Entrer dedans est d'ailleurs un travail d'acrobatie mais, quand on y est, c'est le paradis. J'ai roulé dedans un instant ce matin et ce moteur est aussi délicieux que celui d'une Packard ou d'une Rolls. Autre point fort satisfaisant, on me paie le chauffeur ainsi que ses vêtements. Sensible économie, car le seul manteau est de 4.000 fr et ses gages de 4.000 par mois également. Assurance de même. Je ne désespère pas que le garage soit à la charge de l'excellent Mitchell, et l'essence aussi, pourquoi pas ? ! Tout ceci, bien entendu, spontanément, car je n'en avais pas soufflé mot.


J'ai perdu deux heures ce matin à être photographié dans toutes les positions possibles et imaginables, devant, derrière, dessus, dessous cette voiture pour la publicité, et devant une foule dense dans le parc. Fichu moment à passer.»


 Anonyme - Photographie publicitaire montrant Bernard B. de Monvel et son Hupmobile dans Central Park - 27décembre 1928En janvier 1929, alors qu'il se rend à la campagne chez Hugh Mitchell dans son Hupmobile - notamment pour y rencontrer la fille de l'industriel dont il souhaite peindre le portrait gracieusement pour remercier son père de la voiture qu'il vient de lui offrir - Bernard Boutet de Monvel écrit à nouveau à sa femme (6) :


« Notre auto, qui m'y a conduit, marche vraiment à merveille. Elle marche le tonnerre de Dieu avec des reprises magnifiques. Quel plaisir ce sera de la retrouver en France ! »


 Anonyme - Photographie publicitaire montrant Bernard B. de Monvel et son Hupmobile dans Central Park - 27décembre 1928Bernard Boutet de Monvel rapatrie effectivement son Hupmobile en France, mais pour ne pas l'utiliser autant qu'il l'aurait souhaité : très vite, son entretient se révèle ruineux, mais surtout, très rares sont les spécialistes parisiens capables de réparer une telle mécanique. Aussi, l'Hupmobile est-elle rapidement remisée dans un garage pour finir par être vendue quelques années plus tard...

 

 

1 - L'empâtement est la distance entre l'axe du train avant et celui du train arrière. Réglage spécifique aux châssis haut de gamme, cette longueur détermine la stabilité de la voiture. (Revenir)
2 - Lettre de Bernard Boutet de Monvel à sa femme datée du 13 novembre 1928. (Revenir)
3 - La Century Six d'Hupmobile était alors vendue entre 1345 et 1645 $, tandis que la Century Eight, l'était entre 1825 et 2125 $. (Revenir)
4 - Lettre de Bernard Boutet de Monvel à sa femme datée du 17 novembre 1928. (Revenir)
5 - Lettre de Bernard Boutet de Monvel à sa femme datée du 11 décembre 1928. (Revenir)
6 - Lettre de Bernard Boutet de Monvel à sa femme datée du 30 janvier 1929. (Revenir)